Mon séjour aux îles Maurice et Rodrigues a duré deux mois et quelques jours. A mon retour en France, j’ai voulu faire partager aux adhérents de S.O.S Grand Bleu mon expérience et mon aventure avec les mammifères marins.
Introduction
L’équipe s’est installée dans une maison au bord de la mer, à « La Preneuse », petit quartier du village de « Rivière Noire » dans le sud-ouest de l’île Maurice. J’accompagnais une scientifique et futur cétologue.
Histoire :
L’île Maurice fût découverte par les Portugais vers 1510. Tristan da Cunha la baptisa « Cirne », l’île du Cygne, du nom d’un des bateaux de sa flotte ou de l’étrange oiseau qu’il voyait : le « dodo », devenu l’emblème national. Elle fût occupée en 1598 par les Hollandais qui l’appelèrent « Maurice », du prénom de leur prince. Dès 1715 les Français prirent possession de l’île et Mahé de Labourdonnais fît de Port-Louis un comptoir des Indes. Mais après de nombreuses batailles navales avec l’Angleterre, la France céda son île et la couronne lui redonna le nom de « Mauritius ». L’île Maurice acquis son indépendance en 1968 et devint une république le 12 mars 1992. Sa constitution est basée sur le modèle de « Westminster » (un premier ministre et son cabinet exercent le pouvoir exécutif ) et le code Napoléon est toujours en vigueur.
Géographie :
L’île Maurice est petite : 1865 km2 (65 kilomètres de long sur 45 kilomètres de large) et 160 kilomètres de côtes. Elle est située en océan indien, dans l’hémisphère Sud, et appartient à l’archipel des Mascareignes (avec la Réunion et Rodrigues). Madagascar, situé à l’ouest, est à 855 kilomètres de l’île. Le plus haut sommet est le « Piton » de la Rivière Noire culminant à 827 mètres.
Projet de Mlle Delphine Legay :
J’avais décidé de rencontrer Mlle Legay à Maurice depuis ses débuts dans la cétologie. Depuis juin de cette année, elle projète une étude intitulée « Projet Céta-Squale : agir pour la sauvegarde de nos océans ». Autrement dit sur les « Baleines, dauphins et requins du sanctuaire sud-ouest de l’océan ; pour un observatoire régional des mammifères marins ».
Lauréat de la fondation «Marcel-Bleustein Blanchet pour la vocation » en 1997, Delphine était étudiante à l’Université La Sorbonne à Paris et préparait un doctorat sur la biologie du comportement des cétacés.
De mère mauricienne, elle a décidé de s’installer près des dauphins et des baleines de l’océan indien, peu connus dans le monde, malgré un sanctuaire baleinier. Avec son association « Céta-Squale » dont elle est la directrice, elle a six objectifs principaux sur l’île :
- Développer l’activité de recherche en biologie marine en étudiant les grands prédateurs de l’écosystèmes marins tels que les baleines, les dauphins et les requins autour des îles Maurice, Rodrigues, Rodrigues, Saint-Brandon, La Réunion, Madagascar, Mayotte, Comores et Seychelles.
- Sensibiliser les communautés locales à la nécessité de protéger la vie marine en les formant, en les impliquant dans la recherche, et en parlant aux enfants.
- Former les étudiants à la recherche sur les mammifères marins et les requins de telle sorte que le projet puisse devenir une étude à long terme et durer des nomdreuses années avec une vie locale.
- Protéger la biodiversité marine en proposant des textes sur la manière d’agir pour le respect des animaux de l’océan.

- Valoriser le tourisme dans la région en développant des activités d’écotourisme baleinier contrôlées scientifiquement.
- L’objectif à long terme est d’assurer la conservation et la valorisation écotouristiques des cétacés en créant un observatoire des mammifères marins dans chacun des îles.
Son projet est planifié sur deux ans et demi : de juillet 1999 à octobre 2001. La photo-identification a commencé sur les « dauphins à long bec » (Stenella longirostris), très nombreux à Maurice, et les « grands dauphins » (Tursiops truncatus). La baleine à bosse (Megaptera novaeangliae) migrent le long de l’île durant l’hiver austral de juin à octobre, son étude va commencer l?année prochaine, elle sera accompagnée des prélèvements de peau et de lard (biopsies).
L’océan indien comprend environ vingt espèces de cétacés, mais rien n’est prouvé. L’acoustique, études écotoxilogiques, enregistrements acoustiques et pose de balises seront à l’étude. Mlle Legay voudrait connaître les interactions entre cétacés et requins, afin d’examiner les morsures infligées aux dauphins.
Expériences et nages :
Cachalots (Physeter macrocephalus) :
Comme à notre habitude, nous nous sommes levés à six heures du matin pour profiter de la mer calme et de peu de vent. Les clubs de pêches situés au village, avaient indiqué la présence de cachalots depuis des années au large de l’île. Avec notre Zodiac de 4,50 mètres et un moteur de 25 chevaux, nous sommes allés direction le large. La mer était une mer d’huile. Nous avions pris le risque de partir malgré notre petite embarcation. A 4 miles (1 mile = 1853 mètres) environ, nous avons rencontré un groupe d’une trentaine de « longs becs » (Stenella longirostris). En souriant, Delphine nous dit qu’ils nous amèneront peut-être aux cachalots.
Surprise, quelques minutes après, à 6 miles, nous apercevons huit cachalots en formation serrée, allant vers le sud et se trouvent en face du bateau. Delphine décida de nager en apnée pour pouvoir les filmer sous l’eau. Je décidai de l’accompagner. Dès mes premiers mouvements de palmes, mon coeur battait la chamade, je ne respirai plus. Les cachalots avançaient lentement, se séparant, se regroupant, et semblant prendre plaisir. Un seul décida de faire un « spy-hopping » (sortir la tête de l’eau à la verticale), plusieurs fois il observa notre embarcation. Moteur coupé, seul la pagaie étant utilisée. Delphine se retrouvant en face de lui, il se redressa. Elle avait les larmes aux yeux. A quelques mètres de nous, les cachalots se caressaient, se glissant l’un sous l’autre pendant quelques secondes ; magie de la nature. Sans se soucier de notre présence, tranquilles, ils s’amusaient. Les « clics » s’entendaient nettement sous l’eau. Nous avons alors essayé de les rattraper, mais après un coup de caudale, nous avons du mal à les suivre. Je ne pensais plus, je regardais et mon âme pleurait de bonheur, puis lentement, les huit cachalots sondèrent dans le bleu profond de la mer.
Ils ressortirent plus au sud, la mer étant toujours aussi calme. Nous voulions voir si le groupe comprenait des femelles, des mâles ou les deux. En face de nous, les cachalots devièrent leur route, sans s’énerver, comparé aux petits êtres que nous sommes. Delphine et moi constatèrent alors que quatre femelles venaient de sonder et montrer leurs ventres, alignées et disparaissant dans les profondeurs. Mon dieu, quelle image ! La reconnaissance d’un groupe comprenant des femelles s’expliquait par le comportement d’un mâle se glissant sous une femelle – ou était ce un jeu ? Mystère. Sous nos pied, presque 1450 mètres de profondeurs, de quoi avoir le vertige.
Dauphin à long bec (Stenella longirostris) :
Delphine Legay savait que notre maison n’était pas très éloignée loin d’une baie à dauphins, la « Baie de Tamarin ». La particularité de la baie permettait aux dauphins de trouver une mer calme, une eau peu profonde et aucun lagon, les vagues s’échouant directement sur la plage. Depuis très longtemps, les pêcheurs voyaient des dauphins et des requins. Notre étude, dès le début, nous avait permis de permet de constater qu’un groupe revient souvent, grâce la reconnaissance d’un dauphin, dont sa dorsale est coupée en deux. Nous décidâmes de le nommer « Captain Crochet ». Un groupe de plus de cent individus avait déjà rencontré notre embarcation dans la baie même. Le grand dauphin (Tursiops truncatus) a été vu avec l’espèce commune de Maurice. De même, au large, nous avons vu le dauphin tacheté pantropical (Stenella attenuata) nager avec le long bec.
Après une série de photos d’un groupe de la baie, nous avons décidé de se mettre à l’eau à notre façon. Nous nous sommes mis à la surface de l’eau en tenant fermement une corde attachée au devant du Zodiac. Les dauphins furent surpris au début mais doucement ils se sont approchés. La vitesse étant réduite, les dauphins sont venus à l’étrave à quelques mètres de mon visage. Je me souviens que deux dauphins sont arrivés par la droite à un mètre de moi, provoquant une grande peur. Leurs sifflements étaient très nets. Un groupe entier, à quelques mètres sous la surface, suivait le bateau et son étrange monture. Quatre heures d’affilées nous ont permis de faire les meilleurs clichés et de profiter de leurs jeux.
Avant de repartir pour la France, je me suis glissé dans l’eau et resté à distant du bateau. Les dauphins se trouvaient tout autour de moi mais j’avais du mal à les apercevoir. Quand tout à coup, un groupe s’est glissé en dessous de moi, et me suivait pendant presque quinze seconde. Moment court mais précieux. Sous mon pied, une quinzaine de mètre à peine.
Conclusion :
Avec du recul, les moments passé à côté des cachalots ou des dauphins sont restés très forts. Le premier regard de cette masse devant les yeux sera à jamais gravé dans ma mémoire. Hélas, nous avons jamais pu les revoir. Mais ce n’était pas un rêve. Les dauphins nous l’ont montrés.

Je veux dédier mon séjour aux Mauriciens, pour leur gentillesse et le respect, leur île magnifique, à Delphine pour m’avoir partager ses moments uniques, aux cétacés, à l’élément liquide, bref, à la nature par excellence.
Décembre 1999
FRANCE
par Julien Marchal