Du 31 mars au 7 avril 2005
Il est arrivé dans mon enfance de venir en vacances dans la région d’Aquitaine avec mes parents. Nous étions à Lacanau pour profiter de l’océan Atlantique et de sa région. Pourtant jamais je n’ai eu l’occasion de venir dans le bassin d’Arcachon.
L’occasion était belle de pouvoir venir à Gujan-Mestras pendant une semaine. Petit village de pêcheurs et d’ostréiculteurs, situé au bord du bassin ou le rythme de la vie tourne autour des huîtres et des marées. De plus, j’avais entendu parlé de dauphins sédentaires visibles en face de la Dune de Pilat.
Le bassin d’Arcachon est en fait une lagune au bord de l’océan Atlantique. D’une superficie de 155 km2, en forme triangulaire, il s’étend sur 25000 hectares. Sa profondeur est variable et peut atteindre une vingtaine de mètres.
D’une largeur moyenne de 3 kilomètres, le couloir d’entrée du Bassin d’Arcachon est délimité par la Dune du Pyla au sud et par la Pointe du Cap-Ferret au Nord. Entre les deux, de vastes bancs de sable, dont le célèbre Banc d’Arguin, dessinent des passes étroites constituant les seules voies d’accès navigables entre le Bassin d’Arcachon et l’Océan Atlantique.
Face à la pointe du Cap-Ferret haut de 110 mètres, long de 2800 mètres et large de 500 mètres avec ses 62 millions de m3 de sable, on atteint des records. C’est la plus grande dune d’Europe. Avec une vue imprenable sur l’entrée du Bassin et la foret de pins des Landes, la « Grande Dune » est le site le plus fréquenté du littoral girondin avec plus d’un million de visiteurs par an. La Dune du Pyla est classée « Grand Site National » depuis 1978.
Dans la famille d’accueil, j’ai rencontré Fred, ostréiculteur depuis 5 ans après des expériences lointaines et diverses dans le commerce et des voyages dans le monde entier. Le vendredi, il m’a proposé une promenade en bateau dans le bassin. Il a voulu me montrer le lieu et pêcher des huîtres sauvages pour l’anniversaire de sa fille. Par chance, la marée a commencé de baisser, la journée étais ensoleillée et le vent léger. Nous sommes sortis du port de Gujan en début d’après midi à bord d’une « plate », un bateau en inox plat capable de transporter les huîtres et de les monter à la force des poignets ou par une grue. Comme nous avions du temps, ma curiosité m’a poussé à demander de m’expliquer son travail.
La culture de l'huître fonctionne en trois étapes :
- On utilise des tuiles ou coupelles chaulées (mélange de chaux, sable et eau de mer) pour capter le « naissains » (bébé huître) durant l’été. Ceux-ci vont s’y accrocher avec le courant pendant trois à six mois. Les tuiles sont convoyées sur le bassin par bateau à raison de deux cent cinquante tuiles environ par palette. Elles sont posées sur des chantiers à tuiles et recouvertes de 4,50 d’eau, jusqu’à 6 mètres en marée haute.
- Ensuite, on gratte les tuiles pour retirer les « naissains » et les placer dans une « poche » ou « ambulance. Faite de mailles, sa taille est d’un mètre sur cinquante centimètres. On y pose soigneusement six « poches » sur des « chantiers », tables de 16 à 20 mm de diamètre agrémentées de pieds de 50 cm de haut. L’ostréiculteur à le choix entre déposer les « poches » sur ce type de « chantiers » ou jeter les huîtres sur le sol (culture du sol). A partir du 18éme mois, on retire les « poches » pour les emmener à la cabane (maison en bois ou a lieu le stockage et la vente des huîtres) afin de détroquer les huîtres, c’est à dire les séparer les unes des autres. L’ostréiculteur les ramène également afin de les dédoubler ou pour les ébouillanter (tuer les « naissains » non désirables au développement de l’huître). On les trempe trois secondes dans de l’eau bouillante.
- Après trente et quarante huit mois dans les poches, on les ramène à terre afin de les calibrer par taille et de les vendre.
Le bassin d’Arcachon est premier producteur de « naissains » de France avec 70% de la production. Celle-ci est revendue notamment en Bretagne, Normandie et le bassin de Thau à Sète.
J’ai compris alors que la vie de Fred n’est pas simple et difficile. C’est évident qu’il faut aimer ce travail. En 10 ans le nombre d’ostréiculteurs a diminués de moitié. Il travaille du lundi au dimanche, toute l’année même avec une houle de 2,50 mètres dès que le vent est fort.
De son bâteau, nous passons par le chenal de Gujan, direction les « Cabanes Tchanquées ». Il veut me montrer ces maisons anciennes en bois montées sur pilotis, collées à l’île aux Oiseaux, ou vivaient les ostréiculteurs toute l’année ! De là, nous sommes allés sur le chenal de Teychan, par le phare du Cap Ferret et remonter sur le chenal du Piquet jusqu’à rejoindre un parc à huîtres, nommés « Guian », dont le propriétaire est Mr Bonnot Adrien. La rencontre avec ce jeune ostréiculteur au milieu de son parc a été forte. Il a acheté plusieurs parcs avec sa femme pour créer sa propre entreprise et vendre ses huîtres dans sa cabane de « Cassy », petit village de pêcheur situé en face d’Arcachon. J’ai aidé Adrien à déplacer ces « poches » avec des bottes hautes dans une vase profonde. Physiquement très éprouvant. Les huîtres sauvages n’étaient pas au rendez-vous. Adrien nous a proposé de le suivre en bateau avec son chien à son deuxième parc intitulé « Estoy de Marens ». Ma première pêche d’huîtres fût bonne mais nous n’étions pas complètement satisfaits!. Pourtant notre panier commençait à être plein. Mais obstiné, Adrien a voulu nous montrer un autre parc sur le chenal du Piquey, J’étais heureux de pouvoir visiter plusieurs parcs à huîtres. Il avait disposé des petites huîtres éparpillées sur le sol entre quatre pics. Cette méthode ingénieuse favorise la croissance de l’huître. Plusieurs fois il m’a demandé de faire attention ou je marchais pour ne pas les abîmer. La cueillette était facile et la dégustation fût excellente ! La journée s’écoula puis on décida de rentrer tout doucement, en attendant la marée haute pour rentrer au port.
Fred m’avait parlé de dauphins dans le bassin d’Arcachon. Et depuis l’antiquité, on mentionne la présence de dephinidés.
J’ai eu alors le réflexe de regarder mon « Alphabets des Dauphins», et de retrouver en partie « dauphins, Arcachon (bassin) » et la référence du livre de Brigitte Sifaoui (Editions Atlas). J’ai pu obtenir l’adresse de l’association G.R.E.M.M.S : Groupe de Recherche et d’Etude des Mammifères Marins sur Gujan-Mestras, mais sans numéro de téléphone. En rentrant d’une promenade, je suis allé courir à l’autre bout du village et essayer de trouver la maison. Arrivé devant la maison, aucun nom n’était cité sur la boite à lettre et plusieurs maisons avaient la même adresse! J’ai finalement rencontré Mr Boubert Jean-Jacques, chargé de protéger la réserve naturelle du banc d’arguin, situé en face de la dune du Pilat. Il était chargé entre autres, de s’occuper de l’association sur les dauphins crée par la S.E.P.A.N.S.O, la fédération des Sociétés pour l’Etude, la Protection et l’Aménagement de la Nature dans le Sud-Ouest. Un peu surpris de me voir tout en sueur, il m’a accordé quelques minutes. Ma déception fût immédiate lorsqu’il m’a dit que le groupe de dauphins sédentaires n’existait plus depuis longtemps. En fait tous étaient morts ! Donc l’association créée dans ce but était quasiment éteinte depuis quelques années. Il m’a offert la revue de « Sud-Ouest Nature n°81/1988, Les dauphins du bassin d’Arcachon » rapportant tous leurs travaux depuis 1988. Le lendemain, il m’appela pour me donner un rapport scientifique de Mr Ferrey Marc publié dans la « Terre et la Vie, revue d’écologie n°3, juillet-septembre 1993, Statut et comportement social du Grand Dauphin ( Tursiops truncatus ) dans le bassin d’Arcachon ».
En effet, la création de l’association date de 1989, une année après les premières photographies réalisées sur des grands dauphins, Tursiops truncatus », dans le bassin. C’est Mr Ferrey Marc, scientifique et spécialiste des dauphins, qui proposa à Mr Boubert de participer à l’étude des cétacés. Pas certain que cette complicité allait être fructueuse, il accepta par curiosité. Entre 1988 et 1996, mille heures de recherche et plus de huit mille identifications par photographies individuelles ont été effectuées sur les dauphins. Le groupe sédentaire était au nombre de six, leurs noms étaient « Egoïne », « Petite Faucille », « Vire », « Grande Faucille », « Oméga » et « François ». La première était une femelle car elle était avec son petit nommé « Petite Faucille ». Plus tard, l’équipe détermina que « Petite Faucille » était aussi une femelle. Les liens entre les deux constituaient le noyau dur du groupe et ont duré jusqu’à fin 1995.
Très souvent l’équipe observa que les dauphins « Vire » et « Grande Faucille » accompagnaient « Petite Faucille » lorsque sa mère était obligée de s’absenter. Ce comportement caractéristique chez les dauphins femelles aidant la mère à protéger son petit est cité dans toutes les études scientifiques sur les Tursiops truncatus de part le monde, ceci pour donner les meilleures chances de survie à ce dernier. Donc, le G.R.E.M.M.S jugea bon de croire en la présence de deux autres femelles accompagnant la mère et son petit. Le sexe de la femelle « François » n’a pu être déterminé qu’après quelques heures de plongée en sa compagnie : c’était une femelle. Elle avait un comportement solitaire et était observée au sein du groupe qu’une fois sur deux. Ses contacts avec les humains étais particuliers et touchants.
Le dauphin « Oméga » avait son aileron coupé en forme d’omega, d’où son nom. Agressif et vigilant, l’animal avait l’habitude de surveiller le groupe contre les intrus et la présence de bateaux. Personne ne su si ce dauphin était mâle ou femelle. Mais l’absence de naissance dans ce groupe de six dauphins depuis plus de dix ans interrogeait l’équipe quand à son efficacité de mâle ?. « Oméga » jouait le rôle du mâle protecteur, patriarche d’un harem, attentif, indispensable à la survie des cinq femelles.
Le G.R.E.M.M.S avait remarqué que les cinq dauphins étaient toujours sur leur garde, méfiants et craintifs envers l’équipe. Pourtant, de les rencontrer toute les années auraient dû leur permettre de mieux les approcher. Ce comportement se stigmatisait par des déplacements en formation compacte et ordonnée et des plongées longues. Le territoire du Bassin d’Arcachon inspirait un réel danger, les chenaux, bancs de sables, marées, courants, filets, parcs à huîtres demandant une vigilance de tous les instants.
Malgré les massacres, six dauphins sédentaires ont survécu très longtemps sur les côtes atlantiques françaises. Mais, doucement le groupe disparu au fil des années. « Vire » est morte vers l’âge de 45 ans et ensuite les autres. Quelques uns vont être retrouvés, échoués sur les plages. Aucune naissance n’avait été constatée. Pourtant une femelle peut donner un petit tous les trois ans. L’effectif diminua donc sensiblement et le dernier individu a disparu en 2001. L’équipe espérait que « Omega » soit un mâle mais ça n’a pas du être le cas. Tout cela est triste pour notre patrimoine et l’équipe du G.R.E.E.MS qui avait tant investi pour les conserver en vie.
Je remercie tous ceux que j’ai rencontré autour du bassin pendant cette semaine, Fred et sa famille, Mr Bonnot, Mr Boubert pour sa patience et sa passion, avec le regret de ne pas avoir rencontré de dauphins, mais nous ne contrôlons pas la nature et heureusement.
Gujan-Mestras, France, 19/04/2005
Julien Marchal