Suite à mon article sur l’association « Island Expedition » (décembre 2006), j’ ai reçu beaucoup d’email ou de lettre à ce sujet. Tous ces gens étaient choqués de leur expérience pendant leur séjour aux Bahamas. L’une d’entre elle, Emilie, m’a envoyé ce texte. Bonne lecture :
Bonjour Monsieur,
Je suis tombée par hasard sur votre site et notamment sur votre courrier de décembre 2006 « prudence avec l’association Island Expedition » qui m’a de suite interpellé !
J’ai eu malheureusement l’impression de retourner quelques années en arrière…
Pour vous expliquer tout cela, laissez moi vous raconter mon expérience avec eux….
RÉALISER MON RÊVE…
Alors âgée de 12 ans, une jeune fille de 16 ans habitant dans ma ville, est partie faire une école en mer aux Bahamas. Passionnée des Cétacés, de la mer, j’ai voulu la rencontrer et faire en sorte de vivre la même aventure qu’elle (qui pour elle, c’était très bien passée selon ses dires) l’année suivante.
Je suis allée faire un stage de sélection avec d’autres jeunes à Opio, nous résidions pendant une semaine chez la mère des frères Popov, Dragan encadrait le stage. Tout s’était bien passé : dans tous les cas, je n’avais qu’une idée en tête = être sélectionnée et partir à tout prix réaliser mon rêve ! La seule chose qui aurait pu m’alerter, c’est cette façon de vivre assez « cool » mais c’est cette « différence » qui peut parfois attirer les adolescents!
Me voilà sélectionnée, fière de l’être avec un autre français de mon âge et une belge de 17 ans avec qui j’avais sympathisés.
La course aux sponsors a commencé (mes parents n’avaient pas les moyens de me payer une expédition pour un montant d’environ 50000 francs = équipement, voyage, 3 mois d’expédition, cours par correspondance, …), tout cela avec le soutien de ma famille, de mes amis, des gens de ma ville, etc….
EN FINIR AU PLUS VITE AVEC CE MAUVAIS RÊVE…
Le 2 janvier 1995, à l’âge de 13 ans ½, j’embarquais à Toulouse, via Paris pour rejoindre 2 autres français (celui déjà rencontré et un autre de notre âge), destination Nassau.
Malgré tout mon empressement et mon bonheur de partir, j’ai presque de suite « déchanté » : je pensais au début être gagnée par le mal du pays, puis par une angoisse pour suivre les cours par correspondance de 4ème, etc…. J’échangeais déjà beaucoup de fax avec mes parents et mon professeur principal qui m’encourageaient à vivre ma passion et à tenir bon. Nous sommes restés 15 jours à Nassau avant d’embarquer à bord du fameux « petit voilier » le Sympatico et d’un autre plus grand voilier loué par l’association avec le propriétaire à bord.
Durant ces quelques jours dans la capitale, j’ai du m’acheter parfois à manger avec mon argent de poche, je me nourrissais sinon principalement de pain+beurre de cacahuète+confiture (…) Nous passions parfois par la plage pour accéder aux grands Hôtels : nous profitions ainsi des réceptions pour grignoter les petits fours ! Quand nous avons du partir, les 2 frères nous ont ordonné de ne prendre que quelques affaires, les autres sacs (contenants également les achats faits dans la capitale) étant restés à la maison…
Les accompagnateurs avaient en effet du récupérer le maximum de nourriture gratuite en soute (nous avions récupéré une quantité astronomique de choux….) et cela m’inquiétait en tant que « végétarienne » car sinon, ils ne se nourrissaient que de pêche (même de langoustes dans la réserve des Exumas Cays !) et de riz. Heureusement, j’étais principalement à bord du grand voilier (et soulagée car le voilier était plus en état que le Sympatico) et l’équipage d’origine Danoise était sympa et assez arrangeant dans les moindres situations !
Le 4 février, nous devions faire de la ‘survie’ seuls sur une île face à Long Island : le soir même, mon groupe de 4/5 personnes est tombé sur des étalages de drogue dans une grotte. Nous avons pris peur et sommes partis rejoindre l’autre groupe et avons averti les frères par radio sur le canal 16. Nous ne savions pas que les propriétaires de cette drogue avaient tout entendu et le lendemain matin au petit jour, nous avons entendu des zodiacs arrivés dans notre direction : ils voulaient tous nous « kidnapper ». J’ai pris peur et ai été prise d’une crise panique, ils ont négocié pour qu’ils ne me prennent qu’à moi, pour me ramener à Long Island… Trou noir…. Je me suis retrouvée dans la matinée avec la mère des frères dans son hôtel pour récupérer et pour assister aux courses poursuites en zodiac, à la « prise d’otages » des autres sur la plage… Tout s’est finalement réglé (comment ?) avec les frères.
Je ne sais plus si c’est avant ou après cet « incident » mais c’est la 1ère fois que la mère des frères m’a parlé de « faire la comédie » => en effet, je commençais à déranger ! J’ai eu beaucoup de fièvres pendant 4/5 jours, puis plus d’appétit, puis une douleur au ventre, puis un jaunissement, etc…. Je ne savais pas encore ce que j’avais mais j’avais l’impression de mourir… Et pour eux, je faisais la comédie !
J’ai assisté à la rencontre avec une femme « pirate » qui nous a demandé de jeter nos pellicules à l’eau au cas où l’on aurait des photos d’elle ; à une discussion des frères qui prévoyaient de ce qu’ils allaient faire de notre argent (…) ; le groupe qui était à bord du sympatico a dérivé pendant ½ jours suite à une panne durant une tempête (nous les avons finalement retrouvé !) ; des « pirates » nous ont soit disant volés le zodiac attaché au voilier durant une nuit à proximité de l’épave du Polyxeni, j’ai eu une infection sur un doigt suite à une brûlure (causée par de l’huile chaude) non soignée, etc…….
Une fois arrivée à l’épave, j’ai négocié pour aller avec certains en République Dominicaine plutôt que de rester avec eux, malade et effrayée ! VITE PARTIR !
Arrivée à Puerto Plata, c’est mon instinct de survie qui m’a guidé et sauvé malgré toutes ces péripéties. J’ai contacté l’assurance pour que des médecins me fassent rapatrier. A Saint-Domingue, je suis partie en direction de Madrid/Barcelone pour enfin arriver chez moi fin février avec une HEPATITE !
L’EMILIE « D’AVANT LES BAHAMAS » N’A PLUS JAMAIS ETE LA MEME APRES…
Les 2 frères se sont empressés d’envoyer une décharge pour ce qu’il m’arrivait (que mes parents ont refusé de signer)…. J’ai vu également mon père s’énerver pour la 1ère fois contre leur mère qui réclamait que l’on verse le dernier mois (mars) alors que je ne faisais plus partie de l’expédition !
Bref, je suis repartie au collège quelques semaines plus tard avec mes traumatismes, avec aussi une grande déception de ne pas avoir pu vivre une aventure à la hauteur des attentes de mes sponsors (pour en quelques sortes les remercier), et avec le jugement parfois difficile à assumer/supporter des autres (article dans le journal de la participante de l’année précédente qui les défendait, moqueries de mes camarades de classe, rumeurs des gens de la ville, ….)
J’ai toujours eu conscience qu’il y avait bien plus grave sur terre, dans la vie d’autres personnes alors j’ai préféré ne plus jamais en parler…
J’ai reçu par la suite un journal de Nassau avec en 1ère page les filles qui étaient avec moi, en photo avec mes maillots (etc….) puisque l’on ne m’a JAMAIS retourné entièrement mes affaires !
J’ai fait pendant TRES longtemps des cauchemars, car malgré une maturité certaine, un caractère bien trempé et mon tempérament débrouillard, je devais être trop jeune pour encaisser tout cela…
Avec cette aventure qui s’est trop souvent transformée en cauchemar, vous comprendrez que ma passion pour les cétacés et la mer s’est envolée, ou en tout cas, a été mise de côté… J’ai poursuivi mes études toujours proche de la nature, mais sur terre pour avoir moins peur de rencontrer de vieux fantômes : je suis technicien forestier.
Mais je n’ai pas trouvé de travail dans cette branche : je suis « assimilée cadre » dans l’agro-alimentaire!
J’ai toujours hésité à porter plainte, à dénoncer tout le mal que l’on m’a fait en pensant que je n’avais peut être simplement pas eu de chance et en ayant peur des retombées! Mais je vois que je ne suis pas seule… Le fait de reparler de cette association me met la boule à l’estomac et me serre la gorge…
Je ne sais pas quelles seront les suites à mon courrier, à quoi il servira, sinon à apporter mon témoignage (ma vision de participante complètera votre vision d’accompagnateur !) et à me soulager peut être également !
Je vous remercie en tout cas d’avoir pris le temps de lire un bout de mon histoire, pourtant enfouie au fond de ma mémoire depuis 12 ans.
Je pense que je suis désormais prête à remettre le nez dans cette aventure, prête à peut être même un jour revenir à mes premières amours, les cétacés et la mer !
Bonne continuation.
Emilie
Cordialement.
Montréal, Québec, Canada, avril 2007.
Julien Marchal