Bonjour à tous,
Cette saison 2024 a été différente comparé à l’année dernière. Tout d’abord, concernant l’observation des grosses baleines (baleines à bosses, rorquals communs et baleines bleues), nous n’en avons presque pas eu en face de la marina (Les Bergeronnes) ni du côté de Tadoussac dans le parc marin du Saguenay-Saint-Laurent (QC, Canada). Elles étaient souvent dans la baie des Escoumins ou encore plus loin de ce village. La majorité des sorties en bateaux demandaient d’aller au minimum à trente-cinq minutes de notre quai, même chose pour revenir sachant qu’une croisière dure deux heures. Donc beaucoup de temps à naviguer pour un petit peu de bonheur. Nous pouvions y aller seulement si la mer était belle, peu de vent et pas de brouillard, sinon c’était impossible. Nous allions dans ce cas chercher des petits rorquals près de chez nous ou dans le fjord du Saguenay.
La météo a été difficile avec un vent du sud-ouest presque tout l’été et beaucoup de brume le matin même en septembre. Dans les dernières semaines du mois de septembre et celles de début octobre, on espérait que le vent froid du nord-est allait changer la direction des baleines, mais pas du tout, elles restaient au même endroit. Très clairement, il y avait de la nourriture dans une fosse marine à cent mètres de profondeur que les baleines appréciaient.
Pourquoi moins d’animaux et ceci depuis plusieurs étés ? Depuis quelques années, nous voyons moins de baleines, car la température de l’eau augmente, le taux d’oxygène et le PH baissent. Donc, le poisson ou le krill vont ailleurs. En face de Bergeronnes, il n’y avait aucune nourriture, d’après les biologises qui scannent le fond marin de leur bateau scientifique. Il y avait du poisson en amont vers Saint-Siméon et en aval aux Escoumins. Presque rien au milieu.
Nous avons été étroitement surveillés cet été par les gardes-parcs concernant le respect de la réglementation et du code de conduite par rapport aux cétacés. Pour preuve, j’ai une anecdote à raconter en mer le 20 juillet 2024 pour la sortie de quatorze heures. On avait connu la pire matinée avec un vent fort du sud-ouest apportant trois mètres de vagues, mais plus calme vers midi. J’étais avec une baleine à bosse en après-midi et attendais un navire de Tadoussac pour ne pas la perdre. J’ai reçu un appel radio d’une collègue de travail m’indiquant la présence d’un rorqual commun proche du bord. Dès l’arrivée du bateau sur mon site j’ai quitté le lieu rapidement pour la rejoindre. On m’a averti par radio d’une sortie de site d’observation trop rapide (2 à 3 nœuds donc 3.70 km/h à 5.55 km/h) par un garde-parc. Je me suis rendu compte de mon erreur, car je ne regardais plus mes instruments de navigation. J’étais concentré sur les vagues afin que mes clients ne soient pas trop mouillés. Les gardes-parcs m’attendaient à la marina. Je devais recevoir une amende de 600 $ environ et l’on devait vérifier mes antécédents sur l’eau concernant mes vitesses rapides. J’ai très mal vécu cette journée et peu dormi la nuit. Mon orgueil avait pris un coup car j’aime les mammifères marins et j’en ai fait ma vie de travailler avec eux. Sur l’eau, tous les capitaines savent mon amour pour ces animaux et je respecte au maximum les lois en rigueur dans le parc marin. Le lendemain matin au travail, j’ai rencontré une collègue avant ma croisière, j’ai pleuré de frustration et de rage. Je voulais arrêter ce métier pour la première fois de ma vie. Je n’avais pas blessé un animal comme un ancien capitaine qui ne s’en est d’ailleurs jamais remis. Lorsque j’ai vu les gardes-parcs arriver dans la capitainerie avec leurs gilets pare-balles et leurs pistolets, j’ai senti que j’étais comme un criminel. Je remercie Nancy de m’avoir soutenu ce matin-là. Par la suite, la chef des croisières, des collègues de travail, mes directeurs, mes ami(e)s et ma famille m’ont apporté un soutien inébranlable. J’étais reconnu pour mes efforts et ma combativité dans ce domaine professionnel. Rarement un employeur m’avait donné autant d’éloges par le passé. Je ne quitterais jamais Essipit pour une autre entreprise car je suis fidèle à mes valeurs et aux leurs. J’essaye d’être un modèle pour les autres capitaines et me corrige tout le temps pour m’améliorer. Si je n’ai pas ce travail, je vis mal ma vie parce que c’est beaucoup de sacrifices pour en arriver là. Ma famille est en première ligne pour le savoir. Ces animaux me procurent un plaisir indescriptible. Trop de gens autour de moi n’aiment pas leur travail, attendent la retraite et font des burnouts. Ce n’est pas mon cas. Je n’effectue pas ce travail pour être sur un bateau, mais pour être en mer et rencontrer un animal magnifique. Malheureusement, ma responsable nous quitte pour de nouveaux défis. Je suis déçu, car je l’aimais beaucoup et c’est réciproque. Son dernier message audio est touchant et mémorable. Je n’ai jamais eu de nouvelles des gardes-parcs le reste de la saison à propos de mon amande.
Lors de mes deux cent quatre-vingt-quatre sorties, j’ai pu faire des rencontres avec des clients merveilleux. Sur les trois mille visiteurs et plus sur mon bateau, j’ai deux rencontres fantastiques provenant du même pays. C’est un hasard. La première, c’est une jeune femme qui vit à Montréal mais qui est la fille du directeur de l’hôtel, le « Kia Ora » à Rangiroa en Polynésie-française ! Je connais très bien cet hôtel, car j’étais guide pour l’observation des dauphins ou nageur avec palme, masque et tuba pour leurs clients dans la passe de Tiputa. Nous étions sans doute cinq bateaux à partir de la marina de Bergeronnes, et il fallait que cette cliente soit sur le mien. La seconde coïncidence, une dame m’a informé qu’elle était polynésienne et vivait aussi à Rangiroa, du côté de Tiputa, et rencontre souvent des baleines à bosses. L’archipel de la Polynésie est une centaine d’îles, et cette touriste venait de l’ile où j’ai vécu un an et demi ! Incroyable. Le monde est petit. Mon séjour là-bas est un souvenir inoubliable pour avoir vécu avec les habitants et nager avec des dauphins, tortues, raies, requins ou baleines.
Concernant les belles observations en mer, j’en retiens plusieurs. Tout d’abord les deux baleines à bosses, Gaspar et Irisept/Cocotte, en alimentation de surface pendant deux jours (10 et 11 juillet 2024) plus bas que la baie des Escoumins. Elles poussaient l’une en face de l’autre le poisson pour l’avaler en synchronisation. Une danse de baleine. Je n’avais jamais vu un tel comportement chez les cétacés. Les vidéos sont à voir sur ma chaine YouTube et les photos à la suite de cet article. Je retiens aussi, la visite de la baleine à bosse, Chewbacca, qui est venue sous mon bateau (le 02 septembre 2024), y est restée une bonne minute, puis est allée sur mon tribord, a levé la tête pendant quelques minutes à côté de nous, est repassée sous ma coque, est sortie sur mon bâbord puis a plongé. Ces minutes m’ont paru une éternité. Vous pouvez voir les photos. Encore quelque chose de nouveau pour moi, visionné uniquement dans des reportages à la télévision. Il y a aussi beaucoup de souvenirs concernant les sauts de baleines à bosses (breach), taper des pectorales ou de la caudale. J’ai pu effectuer plusieurs fois-le – Grand Chelem -, c’est-à-dire observer toutes les baleines (le 18 juillet 2024 ou 23 août 2024) lors d’une unique sortie : baleine bleue, baleine à bosse, petit rorqual, béluga et rorqual commun. On ne compte pas les marsouins ni les phoques dans ce défis. Ça devenait facile lorsque différentes baleines se trouvent sur le même site d’alimentation. Et souvent nous étions loin des Escoumins. De revoir les baleines bleues est toujours plaisant et surtout si l’une d’entre elle montre la caudale avant de plonger. Les petits rorquals qui s’alimentent en surface sont un spectacle magnifique. J’ai rencontré des rorquals communs célèbres, comme Zipper ou Troue séparément. Ce n’est pas le grand groupe de communs comme à l’époque emmené par la célèbre – Captain Crochet- à la tête d’une quinzaine de congénères. Son souvenir se perpétue grâce à sa descendance par l’apparition fréquente de – Ti-Croche – présent toute la saison. Il y a eu de la visite de baleines à bosses inconnues comme H1003, H943, H757 ou H939 et des célèbres comme : Siam, Pixel, Gaspar, Cocotte, Éline, Souffleur, etc…et j’en passe. L’observation de la femelle Tic Tac Toe n’a été faite qu’en mai et nous montrait un amaigrissement important faisant craindre pour sa survie. Je n’ai pas vu de thon cette année ni de dauphins.
Comme objectif en 2025, je vise les trois cent sorties avec les douze passagers. Un but assez fou, mais personnel et possible. Aucun capitaine n’a pu le faire depuis le plafond de trois ou quatre sorties par jour. Physiquement, c’est dure et exigeant sur ce type de bateau, mais je travaille quotidiennement pour être au top mentalement et athlétiquement. J’aurais 49 ans l’an prochain et je ne sais pas combien de temps mon corps va tenir. Le tourisme va être présent, j’en ai aucun doute là-dessus. J’ai besoin que mon bateau (Aventure 7) soit prêt dès le début juin de la saison afin de sortir pendant mes congés. Nous n’avions pas tous les bateaux, dont le mien à cause d’un retard de livraison de la console informatique sur mes moteurs neufs. Je ne veux rien manquer sur l’eau en 2025.
Je remercie tous ces clients de me fournir des photos et vidéos gracieusement, car c’est difficile de le faire en pilotant. Je demande à ceux qui lisent cet article de ne pas les copier ou les vendre sans mon accord. Merci beaucoup.
Mon bilan en nombre de sorties avec Essipit depuis 2008 avec une interruption entre 2017 et 2021 :
Saison 2024 : 284 croisières
Saison 2023 : 279 croisières
Saison 2022 : 104 croisières
Saison 2016 : ? croisières (notes introuvables)
Saison 2015 : 180 croisières
Saison 2014 : 174 croisières
Saison 2013 : 185 croisières
Saison 2012 : 174 croisières
Saison 2011 : 169 croisières
Saison 2010 : 129 croisières
Saison 2008 : ? croisières (notes introuvables et mois de juin 2008 uniquement)
Je termine cette année 2024 par ma onzième saison !
Vous pouvez voir des vidéos sur ma page youtubemon
Mon journal de bord de la saison 2024:
Cordialement.
Rivière-du-Loup, Québec/Canada, octobre 2024
Julien Marchal