
J‘ai effectué un voyage au Québec, le long du fleuve Saint – Laurent, pour étudier l’acoustique des bélugas (Delphinapterus leucas), photographier les baleines et les comprendre, aider et connaître le Groupe de Recherche et d?Etude des Mammifères Marins (GREMM) à Tadoussac.
Depuis des observations en mer ou sur le littoral, nous sommes étonnés de voir autant de baleines à Tadoussac, les Escouminns ou Grandes – Bergeronnes. Certaines peuvent même être vues en alimentation de surface, un moment magique.
Tout ceci est dû à une océanographie et à des courants ou marrées et vents, favorisant une production biologique régionale exceptionnelle. Un lieu unique situé dans un parc marin créé en 1998 et qui répond à une demande touristique d’observation des baleines (whale – watching) sans cesse croissante.


Les trois courants et la marée :
Le fleuve Saint – Laurent est long de mille six cents kilomètres et démarre dans les grands lacs américains pour se jeter dans l’Atlantique :
On retrouve dans le fleuve trois strates d’eau :
- la couche de surface
- la couche intermédiaire froide
- la couche profonde
L’eau salée de l’Atlantique nord remonte grâce au courant Laurentien en profondeur, et l’eau douce de surface redescend dans le golfe et l’océan. Ces deux couches vont s’opposer.
Les marées crées, par l’attraction de la lune et du soleil sur l’océan, jouent un rôle déterminant dans l’apport d’eau de mer salée et froide riche en éléments nutritifs. Plus le lieu est étroit, plus l’onde de la marée en entrant va être haut et important. Elle peut varier de trois à huit mètres.
A Tadoussac, le fjord du Saguenay apporte son douce dans l’estuaire maritime du Saint – Laurent. Tous ces facteurs, accompagnés de vent, jouent un rôle essentiel dans l’alimentation des baleines.
Le plancton :
Afin de comprendre l’alimentation des baleines, on doit savoir ce qui les intéresse.
Le plancton, base de toute chaîne alimentaire marine, est fondamentale à la chaîne trophique.
Elle est composée de nombreux organismes planctoniques dont le phytoplancton et le zooplancton. Leur durée de vie est de deux ans environ.
Le premier est constituée d’algues planctoniques qui vont servir de nourriture aux zooplanctons herbivores puis carnivores. Celui- ci à besoin d’énergie solaire pour la photosynthèse et d’azote se trouvant dans l’ammonium et le nitrate.
Le krill ou euphausides, est un zooplancton qui comme tous les autres n’aime pas la lumière. Le jour, il va rester en profondeur pour se cacher des prédateurs et la nuit remonter en surface pour se nourrir du phytoplancton. Arrivé à l’âge adulte, déplacer verticalement et éviter d’être trop en profondeur ni près de la surface. Les larves, quant à elles, vont se laisser entraîner par le courant.
Les baleines à fanons se nourrissent principalement de krill. Un rorqual bleu (Balaenoptera musculus), qui peut atteindre jusqu’à trente mètres de long pour cent tonnes, se remplie de nourriture avant l’hiver et mange de trois à quatre tonnes de krill par jour.

Le talus et le piège à plancton :
Le chenal Laurentien est profond de trois cents à cinq cents mètres. A son bout, on trouve une concentration importante de planctons qui se heurte à des talus et qui remonte vers la surface. Une masse pouvant atteindre plusieurs kilomètres de long et cent mètres d’épaisseur.
Le talus a une topographie abrupte, près de l’île rouge et le fjord du Saguenay, en face de Tadoussac.
Dans cette abondance d’euphausides, des femelles vont pondre et des adultes vont arriver au bout de leur parcours. S’installe alors un aller – retour incessant entre la couche de surface qui pousse les larves de krill vers le Golfe et la couche intermédiaire qui les font revenir.
Des débris organiques vont se poser sur le fond continuellement, mais les courants de profondeurs vont les remonter (upwelling), accompagnés de la marée haute, et se mélanger avec les eaux douces. Voilà cette couleur saumâtre que l’on retrouve riche en éléments nutritifs.
C’est un apport de nourriture nécessaire au krill, mais piégé face à un cul – de – sac, il va être poussé vers la surface.
De plus, il va se produire comme un effet de pompe relançant le mélange vers le Golfe.
Le festin à baleines :
Les baleines choisissent de venir à Tadoussac à cause de cette concentration de nourriture.
Certaines se nourrissent de capelans, lançons ou harengs et de copépodes, dépendant des marées et des eaux froides. Tous ces poissons pélagiques vont manger dans le même lieu.
Les baleines se trouvent souvent à la tête du chenal Laurentien, le long d’une profondeur d’eau de cent mètres.
Les baleines d’excursions connaissent l’endroit où l’on peut trouver jusqu’à cinquante bateaux dans le même secteur !
Elles s’engraissent dans un cul – de – sac à plancton, apportant une masse volumique ciblée, sans être obligée de faire des efforts et de dépenser trop d’énergie. Nous avons observé qu’elles restent plus longtemps en surface la nuit pour filtrer le krill remontant des profondeurs. Mais des questions se posent encore sur l’alimentation des baleines car elles passent quatre vingt dix pour cent de leur temps sous l’eau.
Mis à part le béluga (Delphinapterus leucas), qui reste toute l’année dans le Saint – Laurent, le rorqual commun (Balaenoptera physalus), le rorqual bleu (Balaenoptera musculus), et le petit rorqual (Balaenoptera acutorostrata) sont des espèces habituelles du lieu et s’alimentent avant de migrer en hiver.

Les espèces comme le rorqual à bosse (Megaptera novaeangliae) et le cachalot (Physeter macrocephalus) sont vues quelques fois. Toutes les autres sont exeptionnelles dans la région de Tadoussac, les Escoumins ou Grandes Bergeronnes, sauf dans le golfe du Saint – Laurent.
Les baleines reviennes dans le même lieu depuis des années, connaissant très bien le relief topographique et localisant la masse planctonique. Elles suivent les marées, la température et la salinité et communiquent entre elles.
Tous ces phénomènes géographiques interviennent sur la fréquence des baleines dans ce même lieu d’une année sur l’autre. Les personnes responsables qui étudient les baleines et son océanographie font leur possible pour les protéger, en surveillant le réchauffement de la planète, le traffic maritime ou la pollution.
Cette région est un haut lieu de rassemblement des baleines. Goûtons le plaisir de les voir tant qu’il est encore temps.
BIBLIOGRAPHIE :
(1) Atelier de travail régional sur les activités d’observation en mer des mammifères marins, résumés des projets de recherche scientifiques, Parc Marin du Saguenay – Saint – Laurent, mai 1998.
(2) Les baleines du Saint – Laurent, la recherche et l’éducation: un passeport pour le XXIe siècle, G.R.E.M.M, 1998.
(3) Bulletin de liaison “Le Souffleur” depuis 1989, G.R.E.M.M.
(4) Marchand Caroline, Simard Yvan et Gratton Yves, Concentration of capelin (Mallotus villosus) in tidal upwelling, fronts at the head of the Laurentian Channel in the St.Lawrence estuary, NRC/CNRC, vol.56, number 10, 1999.
(5) Simard Yvan et Lavoie Diane, The rich krill aggregation of the Saguenay – ST.Lawrence Marine Park: hydroacoustic and geostatiscal biomass estimates, structure, variability, and significance for whales, NRC/CNRC, vol.56, number 7, 1999.
(6) Simard Yvan, Comment la mer nourrit-elle les baleines à Tadoussac ou Le pourquoi océanographique de la visite estivale des rorquals dans l’estuaire maritime du St.Laurent, à la tête du chenal Laurentien (Tadoussac, Les Escoumins, Grandes – Bergeronnes), l’Euskarien, Les Sciences de la Mer, p 33 à 38, été 1994.
(7) Rossignol Anne, L’Estuaire maritime et le golfe du Saint – Laurent, Carnet océanographique, INRS / Océanologie, 1998.
(8) Michaud Robert, Rencontre des baleines du Saint – Laurent, G.R.E.M.M, 1993.
(9) Sites web du G.R.E.M.M: http//www.gremm.org et www.baleinesendirect.net or www.whles-online.net
Article de deux pages dans Planète Mer n°29
S.O.S Grand Bleu – janvier – février – mars 2001
par Julien Marchal