L'occasion était
belle de pouvoir venir à Gujan - Mestras pendant
une semaine. Petit village de pêcheurs et d'ostréiculteurs,
situé au bord du bassin ou le rythme de la vie
tourne autour des huîtres et des marées.
De plus, j'avais entendu parlé de dauphins sédentaires
visibles en face de la Dune de Pilat.

Le bassin d'Arcachon est
en fait une lagune au bord de l'océan Atlantique.
D'une superficie de 155 km2, en forme triangulaire,
il s'étend sur 25000 hectares. Sa profondeur est
variable et peut atteindre une vingtaine de mètres.

D'une largeur moyenne de
3 kilomètres, le couloir d'entrée du Bassin
d'Arcachon est délimité par la Dune du Pyla
au sud et par la Pointe du Cap-Ferret au Nord. Entre les
deux, de vastes bancs de sable, dont le célèbre
Banc d'Arguin, dessinent des passes étroites
constituant les seules voies d'accès navigables
entre le Bassin d'Arcachon et l'Océan Atlantique.
Face à la pointe
du Cap-Ferret haut de 110 mètres, long de 2800
mètres et large de 500 mètres avec ses 62
millions de m3 de sable, on atteint des records. C'est
la plus grande dune d'Europe. Avec une vue imprenable
sur l'entrée du Bassin et la foret de pins des
Landes, la « Grande Dune » est le
site le plus fréquenté du littoral girondin
avec plus d'un million de visiteurs par an. La Dune du
Pyla est classée « Grand Site National »
depuis 1978.
Dans la famille d'accueil,
j'ai rencontré Fred, ostréiculteur depuis
5 ans après des expériences lointaines et
diverses dans le commerce et des voyages dans le monde
entier. Le vendredi, il m'a proposé une promenade
en bateau dans le bassin. Il a voulu me montrer le lieu
et pêcher des huîtres sauvages pour l'anniversaire
de sa fille. Par chance, la marée a commencé
de baisser, la journée étais ensoleillée
et le vent léger. Nous sommes sortis du
port de Gujan en début d'après midi à
bord d'une « plate », un bateau
en inox plat capable de transporter les huîtres
et de les monter à la force des poignets ou par
une grue. Comme nous avions du temps, ma curiosité
m'a poussé à demander de m'expliquer son
travail.
La culture de l'huître
fonctionne en trois étapes :
On utilise
des tuiles ou coupelles chaulées (mélange
de chaux, sable et eau de mer) pour capter le « naissains »
(bébé huître) durant l'été.
Ceux-ci vont s'y accrocher avec le courant pendant trois
à six mois. Les tuiles sont convoyées
sur le bassin par bateau à raison de deux cent
cinquante tuiles environ par palette. Elles sont posées
sur des chantiers à tuiles et recouvertes de 4,50
d'eau, jusqu'à 6 mètres en marée
haute.

Ensuite, on
gratte les tuiles pour retirer les « naissains »
et les placer dans une « poche »
ou « ambulance. Faite de mailles, sa taille
est d'un mètre sur cinquante centimètres.
On y pose soigneusement six « poches »
sur des « chantiers », tables de
16 à 20 mm de diamètre agrémentées
de pieds de 50 cm de haut. L'ostréiculteur à
le choix entre déposer les « poches »
sur ce type de « chantiers » ou
jeter les huîtres sur le sol (culture du sol). A
partir du 18éme mois, on retire les « poches »
pour les emmener à la cabane (maison en bois ou
a lieu le stockage et la vente des huîtres) afin
de détroquer les huîtres, c'est à
dire les séparer les unes des autres. L'ostréiculteur
les ramène également afin de les dédoubler
ou pour les ébouillanter (tuer les « naissains »
non désirables au développement de l'huître).
On les trempe trois secondes dans de l'eau bouillante.

Après
trente et quarante huit mois dans les poches, on les ramène
à terre afin de les calibrer par taille et de les
vendre.
Le bassin d'Arcachon est
premier producteur de « naissains »
de France avec 70% de la production. Celle-ci est revendue
notamment en Bretagne, Normandie et le bassin de Thau
à Sète.
J'ai compris alors que
la vie de Fred n'est pas simple et difficile. C'est évident
qu'il faut aimer ce travail. En 10 ans le nombre d'ostréiculteurs
a diminués de moitié. Il travaille du lundi
au dimanche, toute l'année même avec une
houle de 2,50 mètres dès que le vent est
fort.
De son bâteau, nous
passons par le chenal de Gujan, direction les « Cabanes
Tchanquées ». Il veut me montrer ces
maisons anciennes en bois montées sur pilotis,
collées à l'île aux Oiseaux, ou vivaient
les ostréiculteurs toute l'année !
De là, nous sommes allés sur le chenal
de Teychan, par le phare du Cap Ferret et remonter sur
le chenal du Piquet jusqu'à rejoindre un parc à
huîtres, nommés « Guian »,
dont le propriétaire est Mr Bonnot Adrien. La rencontre
avec ce jeune ostréiculteur au milieu de son parc
a été forte. Il a acheté plusieurs
parcs avec sa femme pour créer sa propre entreprise
et vendre ses huîtres dans sa cabane de « Cassy »,
petit village de pêcheur situé en
face d'Arcachon. J'ai aidé Adrien à
déplacer ces « poches » avec
des bottes hautes dans une vase profonde. Physiquement
très éprouvant. Les huîtres sauvages
n'étaient pas au rendez-vous. Adrien nous a proposé
de le suivre en bateau avec son chien à
son deuxième parc intitulé « Estoy
de Marens ». Ma première pêche
d'huîtres fût bonne mais nous n'étions
pas complètement satisfaits!. Pourtant notre panier
commençait à être plein. Mais obstiné,
Adrien a voulu nous montrer un autre parc sur le chenal
du Piquey, J'étais heureux de pouvoir visiter plusieurs
parcs à huîtres. Il avait disposé
des petites huîtres éparpillées sur
le sol entre quatre pics. Cette méthode ingénieuse
favorise la croissance de l'huître. Plusieurs fois
il m'a demandé de faire attention ou je marchais
pour ne pas les abîmer. La cueillette était
facile et la dégustation fût excellente !
La journée s'écoula puis on décida
de rentrer tout doucement, en attendant la marée
haute pour rentrer au port.
Fred m'avait parlé
de dauphins dans le bassin d'Arcachon. Et depuis l'antiquité,
on mentionne la présence de dephinidés.
J'ai eu alors le réflexe
de regarder mon « Alphabets des Dauphins»,
et de retrouver en partie « dauphins, Arcachon
(bassin) » et la référence du
livre de Brigitte Sifaoui (Editions Atlas). J'ai pu obtenir
l'adresse de l'association G.R.E.M.M.S : Groupe de
Recherche et d'Etude des Mammifères Marins sur
Gujan-Mestras, mais sans numéro de téléphone.
En rentrant d'une promenade, je suis allé courir
à l'autre bout du village et essayer de trouver
la maison. Arrivé devant la maison, aucun nom n'était
cité sur la boite à lettre et plusieurs
maisons avaient la même adresse! J'ai finalement
rencontré Mr Boubert Jean-Jacques, chargé
de protéger la réserve naturelle du banc
d'arguin, situé en face de la dune du Pilat. Il
était chargé entre autres, de s'occuper
de l'association sur les dauphins crée par la S.E.P.A.N.S.O,
la fédération des Sociétés
pour l'Etude, la Protection et l'Aménagement de
la Nature dans le Sud-Ouest. Un peu surpris de me voir
tout en sueur, il m'a accordé quelques minutes.
Ma déception fût immédiate lorsqu'il
m'a dit que le groupe de dauphins sédentaires n'existait
plus depuis longtemps. En fait tous étaient morts !
Donc l'association créée dans ce but était
quasiment éteinte depuis quelques années.
Il m'a offert la revue de « Sud-Ouest Nature
n°81/1988, Les dauphins du bassin d'Arcachon »
rapportant tous leurs travaux depuis 1988. Le lendemain,
il m'appela pour me donner un rapport scientifique de
Mr Ferrey Marc publié dans la « Terre
et la Vie, revue d'écologie n°3, juillet-septembre
1993, Statut et comportement social du Grand Dauphin (
Tursiops truncatus ) dans le bassin d'Arcachon ».

En effet, la création
de l'association date de 1989, une année après
les premières photographies réalisées
sur des grands dauphins, Tursiops truncatus »,
dans le bassin. C'est Mr Ferrey Marc, scientifique et
spécialiste des dauphins, qui proposa à
Mr Boubert de participer à l'étude des cétacés.
Pas certain que cette complicité allait être
fructueuse, il accepta par curiosité. Entre 1988
et 1996, mille heures de recherche et plus de huit mille
identifications par photographies individuelles ont été
effectuées sur les dauphins. Le groupe sédentaire
était au nombre de six, leurs noms étaient
« Egoïne », « Petite
Faucille », « Vire »,
« Grande Faucille », « Oméga »
et « François ». La première
était une femelle car elle était avec son
petit nommé « Petite Faucille ».
Plus tard, l'équipe détermina que « Petite
Faucille » était aussi une femelle.
Les liens entre les deux constituaient le noyau dur du
groupe et ont duré jusqu'à fin 1995.
Très souvent l'équipe
observa que les dauphins « Vire »
et « Grande Faucille » accompagnaient
« Petite Faucille » lorsque sa mère
était obligée de s'absenter. Ce comportement
caractéristique chez les dauphins femelles aidant
la mère à protéger son petit est
cité dans toutes les études scientifiques
sur les Tursiops truncatus de part le monde, ceci
pour donner les meilleures chances de survie à
ce dernier. Donc, le G.R.E.M.M.S jugea bon de croire en
la présence de deux autres femelles accompagnant
la mère et son petit. Le sexe de la femelle « François »
n'a pu être déterminé qu'après
quelques heures de plongée en sa compagnie :
c'était une femelle. Elle avait un comportement
solitaire et était observée au sein du groupe
qu'une fois sur deux. Ses contacts avec les humains étais
particuliers et touchants.
Le dauphin « Oméga »
avait son aileron coupé en forme d'omega, d'où
son nom. Agressif et vigilant, l'animal avait l'habitude
de surveiller le groupe contre les intrus et la présence
de bateaux. Personne ne su si ce dauphin était
mâle ou femelle. Mais l'absence de naissance
dans ce groupe de six dauphins depuis plus de dix ans
interrogeait l'équipe quand à son efficacité
de mâle ?. « Oméga »
jouait le rôle du mâle protecteur, patriarche
d'un harem, attentif, indispensable à la survie
des cinq femelles.
Le G.R.E.M.M.S avait remarqué
que les cinq dauphins étaient toujours sur leur
garde, méfiants et craintifs envers l'équipe.
Pourtant, de les rencontrer toute les années auraient
dû leur permettre de mieux les approcher. Ce comportement
se stigmatisait par des déplacements en formation
compacte et ordonnée et des plongées longues.
Le territoire du Bassin d'Arcachon inspirait un réel
danger, les chenaux, bancs de sables, marées, courants,
filets, parcs à huîtres demandant une vigilance
de tous les instants.
Malgré les massacres,
six dauphins sédentaires ont survécu très
longtemps sur les côtes atlantiques françaises.
Mais, doucement le groupe disparu au fil des années.
« Vire » est morte vers l'âge
de 45 ans et ensuite les autres. Quelques uns vont être
retrouvés, échoués sur les plages.
Aucune naissance n'avait été constatée.
Pourtant une femelle peut donner un petit tous les trois
ans. L'effectif diminua donc sensiblement et le dernier
individu a disparu en 2001. L'équipe espérait
que « Omega » soit un mâle
mais ça n'a pas du être le cas. Tout cela
est triste pour notre patrimoine et l'équipe du
G.R.E.E.MS qui avait tant investi pour les conserver en
vie.
Je remercie tous ceux que
j'ai rencontré autour du bassin pendant cette semaine,
Fred et sa famille, Mr Bonnot, Mr Boubert pour sa patience
et sa passion, avec le regret de ne pas avoir rencontré
de dauphins, mais nous ne contrôlons pas la nature
et heureusement.
Julien Marchal.
Le 19/04/2005
